Le huis clos est une ancienne technique issue de la PME qui consiste à exclure des délibérations (verbalement et physiquement) toute personne qui n’est ni élue ni imputable des décisions qui pourraient se prendre. Ainsi, dans le cas des sociétés à but lucratif, les cadres font partie de cette catégorie, de sorte que seuls les administrateurs et administratrices dits indépendants devraient rester pour le huis clos. Cette technique vise essentiellement à garder secrète et ultra-confidentielle toute discussion, voire tout sujet de discussion, lors de ce huis clos.
La technique comporte une grande faiblesse en ce qu’elle ouvre la voie à des affirmations sur des personnes qui ne sont pas là pour offrir des explications et préciser les contextes. Le grand bienfait qui est mis de l’avant est de permettre aux administrateurs et administratrices dits indépendants (mais payés par la société même qu’ils administrent) de pouvoir discuter entre eux de sujets qu’ils seraient gênés d’aborder face aux cadres supérieurs.
À nos yeux, l’intention de tenir un huis clos à chacune des réunions du Conseil d’administration d’un OBNL constitue une grave erreur. Cette erreur provient surtout de faux OBNL que sont les grandes sociétés gouvernementales (comme Hydro-Québec ou la Caisse de dépôt), les conglomérats (comme le réseau de la santé) et autres créatures semi-gouvernementales (municipalités, etc.) qui sont souvent tenus de conduire leurs réunions devant public. La confusion est par ailleurs entretenue par certains consultants et consultantes provenant du milieu des affaires qui connaissent peu le milieu associatif et sa culture.
Mise au point pour l’OBNL : Selon nous, il y a une énorme différence entre tenir un huis clos avec DG et sans DG. En effet, il peut être une bonne idée d’exclure toute personne n’étant pas DG ni élue au CA. Par contre, nous sommes d’avis qu’un huis clos devrait admettre la présence du ou de la DG. Mais en général, lorsque l’on parle de huis clos, c’est « surtout » pour exclure le ou la DG, et c’est là, selon nous, que l’approche devient incohérente.
Même si l’utilisation du huis clos demeure à travers les années une pratique quasi inexistante ou passagère notre expérience démontre que cette approche étouffante ne comporte que des lacunes. En effet, les quelques associations qui l’ont essayée n’invoquaient pas régulièrement ce point à l’ordre du jour faute de sujets à traiter durant ce temps prévu. Et lorsque se présentait un sujet, c’était presque toujours pour traiter d’un mécontentement généralement mal fondé envers le comportement de la personne à la direction générale : et cela tournait en une évaluation de sa personnalité plutôt que de son rendement, ou en un commentaire concernant des affaires qui ne sont même pas du ressort du CA.
Nous déconseillons donc cette approche pour les OBNL et les associations pour les raisons suivantes :
Briser la solidarité : Notre approche de la saine gouvernance est fondée sur 5 principes fondamentaux, dont la solidarité et l’intégrité. En excluant des délibérations le ou la DG, il y a manquement à ces deux principes. Comment former une équipe gagnante lorsqu’on exclut systématiquement cette personne stratégique? Et comment assurer l’intégrité des délibérations lorsque, d’une part, certaines personnes du CA ne se sentent pas à l’aise et, d’autre part, l’on se prive de la présence de cette personne au cœur de la direction générale, principale partenaire du CA, qui possède des informations et des opinions précieuses? Alors, ne brisez pas l’intégrité en excluant votre partenaire stratégique de premier plan.
Rompre la confiance : Le huis clos régulier et systématique va également à l’encontre des valeurs de gestion en général et probablement des valeurs propres à l’OBNL en cause. Les valeurs telles que la confiance, la transparence, l’équité, le respect, la confidentialité et l’honnêteté devraient être prises en considération avant de décider de prévoir un huis clos régulier.
Le danger est aussi grand pour l’organisation que pour la direction générale en ce que les conséquences de la rupture du lien de confiance peuvent se répercuter de diverses manières. Par exemple, tous les auteurs que nous avons consultés insistent sur l’importance de la confidentialité des discussions lors du huis clos. Or la confidentialité est une valeur fondamentale du fonctionnement de tout Conseil d’administration. Si la confidentialité est tellement importante, ce qui reste à discuter en huis clos est de matière à être caché à la DG. Cela peut paraître sain dans la grande entreprise, mais peut être néfaste et complexe dans un OBNL où le degré de confidentialité est inversement proportionnel au nombre de personnes au courant du secret.
Se mêler de l’intendance : Les séances à huis clos risquent de s’éterniser et de traiter de tout et de rien. Ainsi, pendant les séances à huis clos, il peut arriver que la présidence du CA manque de jugement et confonde petit à petit son rôle avec celui de la direction générale de l’OBNL. Le lien de confiance mutuelle sera rapidement un enjeu. Déjà que la tentation des CA de s’impliquer dans les opérations est forte, le huis clos régulier ouvre toute grande la porte à ce grave problème très courant dans les CA d’OBNL.
Bâtir une culture malsaine : Des quelque 45 000 OBNL au Québec, seulement 5 000 emploient du personnel et une direction. Ainsi, la technique du huis clos est absolument inutile pour les 40 000 qui aspirent à déléguer les commandes de l’intendance et des opérations. Pourquoi introduire cette lourdeur pour une chose qui n’est même pas perçue comme un problème par les OBNL? Apprendre à déléguer avec confiance est un argument essentiel dans une culture saine et une gouvernance saine.
Accroître le stress inutilement : Les huis clos créent inutilement du stress pour la personne qui occupe le poste de direction générale. Imaginez qu’un président fasse languir une DG ayant obtenu une excellente évaluation lors du dépôt des résultats en huis clos, ne lui divulguant la décision du CA que plusieurs jours après ledit huis clos (cf. le cas de Maria, « Une épée de Damoclès »[1]). Vous le comprendrez, la DG se fera du bien mauvais sang durant cette attente inutile, éprouvante et surtout démotivante.
Affaiblir l’harmonie entre gouvernance et intendance : L’harmonie est un concept essentiel pour optimiser le temps offert par les bénévoles en regard des objectifs de l’organisation. Nous basons notre modèle sur l’importance pour toutes les personnes actrices de former un cerveau collectif dynamique. Or comment dynamiser ce partenariat si les parties forment deux clans, dont l’un est partiellement exclu?
Il est certain que le recours au huis clos à chaque réunion n’est pas une bonne chose. Les consultants et consultantes bienveillants en OBNL du Canada sont unanimes : cette pratique risque de faire plus de mal que de bien à moyen et long termes. C’est comme une mode qui revient de temps en temps et dont le bien-fondé n’a pas été démontré jusqu’à présent.
Enconclusion, la seule occasion de tenir un huis clos, à notre avis, est une fois par année pour effectuer l’évaluation du rendement de la personne qui occupe le poste de DG. Car comme vous venez de le lire, nous trouvons inutile et même néfaste que ce recours devienne un point régulier à l’ordre du jour.
À ceux et celles en faveur du huis clos systématique dont le seul argument porte sur le besoin d’indépendance du Conseil d’administration, nous répondons que le jeu n’en vaut pas la chandelle. En effet, la vraie indépendance du CA réside dans sa capacité de gouverner, et ce, en union avec la direction générale. En donnant ou pas les droits de parole, en exerçant le droit de vote (que n’a pas la direction générale) et en implantant une Gouvernance Stratégique®, le CA assure son indépendance et prouve sa solidité. L’utilisation du huis clos est donc un symptôme de problèmes de gouvernance ou une réponse à l’échec de l’implantation d’une saine gouvernance. Bonne solidarité!
Roméo Malenfant, Ph. D. Concepteur de la Gouvernance Stratégique®
Marco Baron B.A.A, consultant et formateur en Gouvernance Stratégique®
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[1]Malenfant, Roméo. (2013). Les Guides pratiques pour une Gouvernance Stratégique® : guide no 9 : le directeur général en péril. P.D.R.M.,p. 33-35.